Web Story - Le métavers

Tiré d'une trilogie publiée sur internet entre 2000 et 2003 dans le cadre de la littérature hypertextuelle (mêlant sons et images), cet "amusement littéraire", qui a navigué sur ia Toile pendant une vingtaine d'années, n'avait pas vocation à être un livre prémonitoire. Et pourtant....
Le roman préfigure les bouleversements numériques, l'impact des réseaux sociaux, la grande démission qui allait s'enraciner vingt ans plus tard et le jaillissement de l'intelligence artificielle.

Web Story - Le métavers :

Paru le 2 novembre 2023 chez l'Harmattan

152 pages. Disponible en librairies ou au format e-book, e-pub.



EXTRAITS




En exclusivité, quelques extraits accompagnés des animations d'origine parus sur la Toile en 2000.





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Jon.W : Premier cri


     A l’origine, il y eut un Hameau. Un Hameau constitué de trois habitations rudimentaires, taillées en cube et plantées sur un terrain sans relief ni végétation, dans un décor aux tons criards, presque fluorescents. Ce fut là que naquit :

Jon.W

Jon.W n’avait rien d’un bébé magnifique comme l’exigeait la tradition. Il avait les traits grossiers et hésitants d’un chérubin crayonné par un géniteur qui en eût été aux balbutiements de ses prodiges. La bouche s’étirait avec peine, et toujours dans le sens horizontal. Quant aux yeux, ils s’ouvraient rarement ensemble.

L’accouchement avait été difficile. On manquait de spécialistes à l’époque.






Pendant longtemps, il ne porta point de vêtements. On avait tout simplement omis ce détail. Mais un jour l’erreur fut rectifiée, sans doute pour dissimuler une indécente parcelle de son anatomie qui prêtait à réflexions, dans les multiples sens du terme.

Jon.W était nourri à heures fixes. De même il faisait ses besoins à heures fixes, très proprement d’ailleurs car ses déjections avaient la vertu d’être invisibles et inodores. Aussi, il dormait à heures fixes. Rien n’aurait pu le distinguer d’un animal, un chien par exemple, s’il ne pleurait, ne riait, ne gazouillait -en silence toutefois- ou ne réclamait des moments d’attention, également avec une extrême ponctualité.

Pourtant Jon.W se développa comme un bébé doit se développer et devint même un bébé magnifique. Les traits s’affinèrent, une petite touffe de cheveux lui blondit le crâne, les yeux s’ouvrirent de façon coordonnée et la bouche osa esquisser d’autres mimiques qu’un immuable sourire.






Ed.Net n’avait pas le faciès stéréotypé de ses camarades, mais au contraire une certaine originalité dans la conception d’ensemble et dans le vêtement. Par ailleurs, il semblait protégé de cette tare qui affectait la plupart des bambins ordinaires que Jon.W côtoyait. En effet, chez Ed.Net la bouche se mouvait en même temps que la parole. Lorsqu’il prononçait un son, les lèvres étaient mobiles jusqu’à ce qu’il eût terminé son propos. Et lorsqu’il se taisait, aucun son saccadé ne venait perturber son mutisme. Ed.Net était suffisamment raffiné et insolite, pour susciter l’admiration de Jon.W.







Ce furent surtout les activités ludiques qui réunirent les deux compères. La jungle du Webworld, où tant de décors étaient encore au stade d’ébauche, fourmillait d’opportunités. Ils adoraient traîner dans les grottes, chercher des objets introuvables, répondre à des énigmes. Ils s’adonnaient à l’archéologie, visitaient des temples Incas, ou cherchaient des trésors perdus, une île égarée, traversaient les déserts et les pôles, partageaient les plus palpitantes péripéties. Dans leurs pérégrinations, ils rencontraient des héros, grimés en héros, et des princesses, grimées en princesses, et affrontaient parfois des créatures fantastiques qu'Ed.Net appelait :

des monstres.

A présent, arrivait dans le Webworld un nouveau jeu par jour approximativement.

Ce n’était plus seulement le si célèbre et si triste Pacman qui avait gobé des générations de visiteurs dans les labyrinthes du Webworld. Il y avait maintenant de véritables dangers à chaque coin de rue, des tireurs à vue qui lançaient leurs explosifs, s’amusaient piéger les passants, se dissimulaient derrière les murs pour apparaître brusquement où on les attendait le moins.







Parmi les sites qui attiraient une multitude de baroudeurs, il y avait aussi la Forteresse, une immense maison close, protégée par un mur d’enceinte de paternité inconnue, au triste penchant architectural, derrière laquelle on devinait des jouissances proscrites. Elle était sans cesse escaladée par des curieux que l’attrait de l’interdit émoustillait.





Dans le même temps où le Webworld commença à se structurer politiquement et socialement, le soleil se mit à briller dans le ciel sans relief, qui avait été blanc au départ, et qui était bleu à présent. Maintenant, on faisait même tomber la pluie, pour le plaisir de ne point avoir à arroser les jardins. Il y eu aussi de la neige dans les endroits au relief un peu plus tourmenté, plus en à-pic, où les habitants aimaient rivaliser de frayeurs.







Quand il eut l’âge des premières ivresses, Jon.W les découvrit sous deux formes primaires : la vitesse et l’amour. De taille à atteindre les pédales, il apprit à conduire une moto, puis une voiture. Une vraie voiture. Très différente du véhicule aux contours grossiers qu’il avait piloté dans sa prime enfance. Il pouvait s’installer au volant, passer les vitesses, accélérer, décélérer, heurter une balise, revenir sur le circuit, tomber dans un ravin. Et choisir de nouveau un autre véhicule et un autre circuit, pour réitérer l’expérience. Dans le Webworld, il y avait autant de routes que de conducteurs. On croisait rarement des véhicules en sens inverse et, à moins d’avoir un partenaire avec qui engager une course, on ne se bousculait guère sur l’autoroute.








Il y eut un premier éclair qui figea l’environnement durant une fraction de secondes. Jon.W sursauta.

    - On dirait qu’il va y avoir un orage ! Dit Ed.Net en regardant autour de lui.

Jon.W se releva d’un bond, lui fit face et s’exclama :

    - Ed ! Pourquoi je suis spécial ? Il y a un autre monde ? Qu’est-ce que ça veut dire pour de vrai ?

Un second éclair hacha l’environnement cette fois.

    - Mais tu sais bien Jon....

Ed.Net n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il fut pris d’un long tremblement qui décala chaque parcelle de son corps dans le sens horizontal. Il ondulait tel un serpent.





Juste devant lui s’installait la plus effroyable des nuits. La fluorescence du paysage prenait des teintes grises avant de s’effacer complètement.

Jon.W retrouvait les frayeurs qu’il avait eues lors des premiers assauts de Hackers. Il était certes habitué à l’inertie momentanée du Webworld, mais jamais il n’avait vu un tel assaut, submergeant la Cité entière. Alors, il se retourna et se mit à courir droit devant lui, bousculé, renversé par des phrases ineptes, des caractères MAJUSCULES ou gras, qui fusaient de partout. Les immeubles, les boutiques, les rues, les habitants s’éclipsaient, broyés par le néant. Dans son propre quartier, les immeubles se volatilisaient et il vit avec désarroi les cinq étages de l’école, qui avait bercé sa créativité, brutalement rayés de la carte.







     Comme son nom l’indiquait, BOD27 était le vingt-septième prototypes d’un programme qui avait commencé bien des années plus tôt. Au fil des ans les robots n’avaient cessé de s’améliorer au niveau esthétique. Par souci, probablement, de dissocier le robot de l’être humain, pendant longtemps on lui maintint une aspect mécanique, afin de convaincre le commun des mortels que la machine serait toujours au service de l’homme, dominée et contrôlée par lui.

Aux premiers robots en forme d’aspirateur, mus par un système de roulettes, avaient succédé des prototypes d’apparence humaine. La technologie était encore tâtonnante. Pourtant on s’émerveilla de ces premiers robots capables de se déplacer de façon humaine, dotés de jambes et de bras articulés, dont quelques chefs d’Etat serrèrent la pince avec malice. Le projet BOD avait annoncé une nouvelle génération d’automates.





     Eddy Staff s’aperçût à peine que la touche qu’il venait d’enfoncer avait légèrement modifié une des lignes sur l’écran. Il s’empressa de réduire l’espace malheureux qui s’était subrepticement glissé.

Or, il  n’avait pas vu que, dans son dos, au même moment où il avait effectué cette manipulation malencontreuse, une des mains de BOD27 avait brusquement bougé. Elle dépliait les doigts, les écartait, les refermait, lentement. L’autre main fit de même, dépliant, écartant, refermant les doigts. Puis les bras se replièrent, s’approchèrent du visage, qui lui aussi s’anima. Il tournait alternativement à droite et à gauche, tandis que les yeux contemplaient avec fascination le mouvement des mains.




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